J’arrive à Tunis, première rencontre avec cette ville fantasmée, rêvée. Des détritus pavent les rues, la chaleur augmente la sensation d’étouffement, une odeur âcre et nauséabonde m’étreint à peine sortie de l’aéroport. Étonnée, déçue, je regarde au dehors, cherchant désespérément un lieu de beauté et de rêve, un lieu ou figer mes espérances et mes souvenirs. Mais à Tunis, rien de cela ne m’apparaît. Rien ne fige le regard, l’esprit. Tout est accumulation de palmiers, de petites maisons blanches, d’autoroutes. Aucun monument ne se détache pour soulager l’âme du visiteur perdu.
Je décide alors de réserver mon jugement pour plus tard, à la différence de mon frère déjà désireux de retourner à Paris. Tunis ne lui plaît pas.
Notre hôtel se trouve en plein centre-ville, près de la grande horloge, lieu emblématique de Tunis et de la Révolution de Jasmin. Pour y arriver, nous avons mis plus de deux heures. L’entre-filement des petites rues, des sens interdits, des derniers souks qui ferment leurs stands nous laisse perplexes, abattus, désespérés. Les nerfs s’échauffent et déjà chacun indique une direction à prendre, énervant mon autre frère au volant qui commence à s’impatienter. Nous décidons alors d’héler un taxi afin qu’il nous conduise à cet hôtel, havre illusoire de paix et de repos. Mais les taxis tunisiens refusent, ne connaissant pas l’adresse ou ne voulant pas nous y conduire.La course effrénée reprend, nous laissant affamés, épuisés et de plus en plus énervés.A l’autre bout de Tunis, nous essayons à nouveau de héler un taxi qui, cette fois accepte de nous y conduire.
L’hôtel Cleo est au centre d’une petite rue adjacente à l’horloge. Très animée, les gens se pressent ou passent tranquillement, me donnant l’impression que la vie est sans importance, que la seule chose essentielle est d’être à cet endroit, à cet instant. Cette sensation m’a prise dès mon entrée dans Tunis, et qu’à Tunis. J’étais là ou je devais être sans me poser de questions, sans peur de ne pas appartenir à cette terre, sans peur du regard des autres. Étrangement, je ne ressentais pas ce poids des regards, ce fardeau que je ressens toujours en marchant dans les rues de Paris.
L’hôtel Cleo est miteux, les cafards se promènent en toute impunité dans la salle de bains, la douche est crasse, les toilettes puantes, les lits malpropres. Mais le répit tant attendu nous fait oublier cette réalité crasseuse le temps d’un repas délicieux acheté dans la sandwicherie d’en face.La rue tunisienne ne s’arrête de rire et de crier qu’à deux heures, voire trois heures du matin et là dans mon lit, j’écoutais les disputes, les rires, les cris de joie ou de colère essentiellement masculins. Les voix de femmes sont quasi absentes, voire inexistantes. Au lever, la rue de Tunis est déjà active, depuis quatre heures, les tenants des cafés et des sandwicheries s’activent pour nettoyer leurs échoppes et boire leurs cafés tranquillement avant la déferlante du matin. Car à Tunis, manger dehors est une habitude peu coûteuse.
Nous partons pour Sousse, ville de villégiature de riches Lybiens ou d’Algériens. A Sousse, rien d’intéressant. La plage, les belles voitures et toujours cette nuit infinie ou l’on entend klaxons, musique et cris de joie jusqu’à très tard. A la plage, les femmes sont voilées, se baignent entièrement habillées et croisent sans gêne et sans malaise d’autres femmes en bikini ou en short. Les carrioles portées par des chevaux faméliques transportent les rares touristes désireux de monter dans cet attelage sinistre.
A Sousse, rien d’exceptionnel, rien de marquant. Juste cette vie, ce tournoiement de vivacité, de jeunesse, d’envie. Et là, je comprend la différence entre un monde vieillissant et un monde peuplé de jeunes qui ne pas désabusés, pour qui le dernier I Phone n’est pas la dernière raison d’être, pour qui la consommation, sans la nier, n’a pas pris le pas sur la société, pour qui les valeurs sociales sont encore essentielles.
La Tunisie c’est un savoureux mélange de traditions, de femmes élégantes en foulard, d’hommes jeunes et aux aguets, d’islam, d’Occident, de jeunes filles en jean moulant, de couples se baladant main dans la main…
Je suis retournée à Tunis pour mon dernier jour de voyage, avec un passage obligé au souk central et un détour à La Goulette. Et j’ai saisi une notion nouvelle pour moi : l’instant arabe, la saveur d’un thé aux amandes dans un café en bordure de mer avec les classiques de la chanson arabe qui résonnent, Fayrouz, Abdel Halim ou Oum Kalsoum à fond dans les enceintes et là, le serveur habillé à la dernière mode assis sur un banc au téléphone se fait reprendre par son patron qui lui demande ironiquement de lâcher son téléphone et d’aller servir un couple de personnes âgées. Rien n’est grave à Tunis, rien n’est insurmontable, tout est à portée de mains avec une discussion et une blague, les Tunisiens continuent leur avancée, insouciants mais vivants.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.